L’inventeur du modèle MC2 avait une longueur d’avance en matière d’impact investing. Un sujet à la mode en Europe pour désigner une approche de l’investissement visant à apporter une réponse à un besoin social avec éventuellement un retour financier. 

La pauvreté n’est pas une fatalité ; on peut y remédier. Le secteur informel n’est pas une calamité, il est non seulement un centre de formation d'entrepreneurs mais également un réservoir de création de la richesse. Telle est la substance de la thèse de doctorat soutenue par Paul K. Fokam en 1989 à l’Université de Bordeau. En son temps, cette thèse iconoclaste lui avait valu les foudres du jury dans la mesure où la pensée économique dominante soutenait exactement le contraire. Pour passer de la théorie à la pratique et mettre à nu la déconnexion des « grands » économistes qui estimaient que le pauvre est condamné à la pauvreté, il s’est évertué à appliquer sur le terrain les conclusions de ladite thèse de doctorat. Après un quart de siècle, les résultats sont-ils à la hauteur de la vision ? La rédaction de … a mené une enquête pour jauger la pertinence de cette thèse à l’épreuve des faits.

1992. La localité de Baham, commune située dans la province de l’Ouest du Cameroun accueille la première MC2 du Cameroun. Le pays découvre, à cette occasion, une réappropriation de la formule d’Albert Einstein. Sous la plume de Paul K. Fokam, chercheur en sciences de gestion et cultures africaines, cette formule devient : VP = MC2, entendez la Victoire sur la Pauvreté (VP) est possible si les Moyens (M) et les Compétences (C) de la Communauté (C) sont mis ensemble.Dans son discours inaugural dont nous avons obtenu copie, Dr Paul Fokam, parrain du modèle MC2, exprime son vœu de voir cette première expérience faire tache d’huile dans d’autres parties du monde rural camerounais, voire africain.

24 ans plus tard, comme l’indiquent les statistiques disponibles auprès de l’ONG Appropriate Development For African Foundation (ADAF), le réseau MC2 compte 109 unités au Cameroun, 25 en Guinée, une dizaine au Liberia et en Zambie. Il est sur le point d’être lancé en Côte d’Ivoire. Au Cameroun, l’épargne mobilisée depuis 1992 s’élève à 42,5 milliards FCFA, preuve qu’une épargne est bel et bien disponible dans les milieux pauvres. 304.687 crédits ont été accordésavec des aides extérieures inférieures à 10%. Plus d’un million de personnes ont été touchées directement par le modèle, ce qui fait plus de 4 millions de personnes indirectes, si l’on applique un effet multiplicateur de 3 personnes prises en charge par membre.

Conjugaison de volontés

Cas pratique : la MC2 de Njombe. 16 ans après sa création, elle compte 4788 membres. Son capital est de 141 millions. L’épargne collectée dépasse le milliard et le total de bilan est d’un milliard et demi. Michel Foyet, administrateur de la MC2 de Njombe : « La MC2 marche très bien […] Des marges obtenues, une partie est distribuée aux mutualistes, une autre partie est mise en réserve pour renforcer nos fonds propres et c’est le reste que nous utilisons pour faire des dons aux écoles et hôpitaux et ainsi aider au développement de la communauté. »

Ces résultats sont dus à la conjugaison de volontés multiples. La première est la vision définie par le parrain et concepteur du modèle, Dr Paul K. Fokam, pour restaurer à l’Africain sa dignité : « L’aide au développement avait enfoncé l’Afrique dans une mentalité de pauvreté auto-entretenue, c’est-à-dire aujourd’hui, les Occidentaux nous donnent quelques dollars, nous sommes contents, nous consommons. Demain, nous attendons encore et ainsi de suite. Cette spirale de l’aide, conjuguée à la dette mal gérée, mal orientée bref gaspillée, avait fait de l’Afrique le terreau fertile de la misère, à ce point que le sens de l’initiative a été complètement paralysé. Il fallait réveiller le potentiel créatif de l’Africain. J’ai alors décidé de faire concret, en convaincant le management d’Afriland First Bank et l’ONG ADAF de sensibiliser les pauvres afin de leur inculquer le sens de la création de richesse. 24 ans après avoir engagé ce combat, je suis plus que satisfait des résultats obtenus. ». 24 ans après avoir engagé ce combat, nous avons gagné quelques  batailles  mais la guerre continue"  les résultats obtenus ne doivent pas nous endormir"  ainsi s'exprimait Dr. K. Fokam.

 

Il y a, au deuxième rang, les communautés locales qui prennent conscience de leur condition de pauvres et manifestent la ferme volonté de se tirer elles-mêmes de la pauvreté. Depuis des années, une ferveur s’enregistre çà et là, et c’est toutes les communautés qui veulent chacune leur MC2.

Vient ensuite ADAF, une ONG qui assiste techniquement les communautés dans la mise en place et la gestion de leurs unités. A ADAF, l’on n’a pas attendu les grands discours européens pour identifier le problème de la performance sociale. Concrètement, des gens d’une collectivité rurale donnée s’adressent à cette ONG  et lui font part de leur volonté de se mettre ensemble et de créer leur MC2. Alors ADAF, après une étude de faisabilité dans le milieu, accompagne la population dans le processus de sensibilisation, de mobilisation des ressources financières nécessaires, la constitution des divers dossiers et d’obtention des différentes autorisations administratives et réglementaires.  ADAF assure en collaboration avec Afriland First Bank, la formation du personnel et des dirigeants, apporte son assistance technique dans la gestion des unités, notamment dans les domaines de la comptabilité, de l’informatique, de l’audit, et veille au respect des normes prudentielles. Elle accompagne également des MC² dans l’identification de projets de développement communautaire, et dans la recherche de partenaires techniques et financiers pour leur exécution. Voilà une façon concrète d’aider les pauvres à pêcher, au lieu de leur donner du poisson. Dr Justin Bomda, secrétaire exécutif d’Adaf : « Les structures du modèle MC2 visent à la fois la performance sociale et la rentabilité économique. Elles cherchent à éradiquer la pauvreté de manière durable dans les zones défavorisées à travers l’accès des populations pauvres aux services financiers et non financiers.  Rechercher à la fois la performance financière et la performance sociale est possible, les MC2 le démontrent tous les jours, et des recherches menées par des universitaires dans les MC² sont très encourageantes. Pour les accompagner à aller dans ce sens, ADAF a élaboré des critères de notation (comprenant entre autres et en bonne place des critères de mesure l’impact social) pour primer les meilleurs. »

Banque citoyenne

Dans le modèle, Afriland First Bank joue un rôle d’engagement responsable. En 1992, le management de cette banque citoyenne a prêté une oreille attentive à l’appel de Dr K. Paul Fokam. Evariste Takam, chef du département de la microfinance  à  Afriland First Bank, voit également la responsabilité sociale comme motivation institutionnelle : « Si l’on se situe du point de vue d’Afriland First Bank, le modèle MC2 est un impact investing, car nous avons mis une partie de nos ressources, humaines et financières, pour amener les populations défavorisées des zones rurales et les femmes des milieux urbains à réaliser ce qu’elles n’auraient pas pu faire sans notre intervention, c’est-à-dire créer leur micro-banque de développement pour prendre leur destin en main. C'est décider de mettre à côté une partie de leur revenu (épargne) et de demander le crédit pour  faire le complément nécessaire pour investir pour une vie meilleure. Ceci nous permet de rappeler à tout le monde la définition du riche selon Dr Paul K. Fokam : « Est riche celui qui gagne 100 F et dépense 90 F ». D’ailleurs, quand vous voyez ce que ces pauvres ont mis de côté, c’est beaucoup : 42 milliards. Mais en même temps, ce n’est pas assez, comparé à ce qui a été injecté dans les projets économiques et sociaux à savoir 157 milliards. En clair, sans que ce soit un devoir imposé par la loi ou le régulateur, Afriland First Bank s’est employé à agir pour que les plus pauvres ne soient plus exclus du système bancaire. »

Des partenaires internationaux tels que DEG, Misereor, Cordaid, FMO et des gouvernements apportent des fonds pour refinancer certains projets importants. Pour couronner tout cela, la volonté politique endogène est un élément fondamental. Pour que le modèle réussisse à transformer la société, il faut l’implication des dirigeants au plus haut point. Ainsi a-t-on vu le président guinéen, Alpha Condé, assister à l’inauguration de la MC2 de Ratoma, sous une pluie battante, pour donner sa caution à un dispositif qui va considérablement réduire l’exposition de l’Afrique à l’aide internationale, aide qualifiée par Dr Paul K. Fokam d’« excellent somnifère » dans ses ouvrages. Au Cameroun également, le gouvernement  collabore avec les MC² dans le financement du secteur agricole.

Voilà le cercle vertueux qui mérite l’admiration. Dans le réseau, les taux d'intérêt sont fixés par les membres du conseil d'administration de chaque MC2. Ils varient d'une MC2à l'autre. Mais  ADAF veille au respect des fourchettes. Pour l'épargne, les taux d'intérêt se situent entre 2,5 et 4 %. Pour les crédits, ils varient entre 12 et 15 %. Ces taux d'intérêt sont inférieurs à ceux du secteur de la microfinance et les MC2 sont encouragées à les maintenir à ce niveau.

Ce dispositif dessiné par Paul Fokam est un modèle idéal d’impact investing avant la lettre : « En Europe, on parle aujourd’hui d’impact investing, comme si c’était une trouvaille. On parle de mettre en place un écosystème de l’impact investing pour des projets économiques qui visent avant tout un impact social et la rentabilité ne vient que comme une cerise sur le gâteau. J’ai envie de les inviter en Afrique, ils n’ont qu’à venir nous voir, nous avons sorti des centaines de milliers de personnes de la pauvreté en 24 ans. »

Vous avez dit investissement à fort impact social ? Le modèle a su s’imposer comme une arme de changement de mentalité et de progrès économique. Modèle incontournable, pour Jean-Marc Seyman,  vice-président de GMG international, premier président du conseil des sages de la MC2 de Niete : « Honnêtement, ce modèle s’intègre tellement bien que je vois mal comment on pourrait aujourd’hui développer la zone rurale sans la MC2. »